« Ambition : vivre sans tuteur, fût-on de l’espèce végétale.
Placer son idéal en soi-même, à l’abri des intempéries. »
Claude Cahun, Aveux non avenus (poésie compilée dans le savoureux recueil de poésie féministe Je serai le feu de Diglee, 2021)

Il y a souvent un avant et un après. Un moment où tu ouvres les yeux, pour t’apercevoir que le monde est bien plus vaste et riche que tu ne l’imaginais ; dépassé ce stade, il n’y a plus de retour en arrière. Les normes glissent sur toi comme un vêtement mal-coupé, aux proportions aberrantes. Tu essayes, peut-être pour la dernière fois, de rejoindre ce monde qui t’a abrité·e pendant des années ; tu tentes de retrouver ce qui était familier et confortable.
Mais le cœur n’y est plus.
Les étiquettes auxquelles tu pensais correspondre avant tombent sur le sol, formant un tapis de d’idées mortes mortes, de représentations dépassées, et tu as du mal à respirer parce que tu veux aller de l’avant, alors que tout ce qui t’entoure (les pubs, les films, tes ami·es, ta famille) te répète que ce qui est bien, ce qui est juste se trouve est à présent hors de ta portée. Tu es Alice qui passe de l’autre côté du miroir, plus joyeux·se à l’idée de prendre le thé avec le Chapelier Fou qu’à celles de suivre les règles du monde d’où tu t’es enfui·e.
Dans ce joyeux bazar, le cœur se dissocie du corps : suis-je suffisamment masculin/trans/féminine/enby pour supporter l’attention générée par mon coming-out ? Comment survivre dans ces nouvelles conditions, où je me m’assume, où je me découvre différent ?
Un chemin s’ouvre à toi ; il est neuf, faute d’informations pertinentes à portée de main. Peut-être as-tu un·e ami·e qui a dessiné le début de cette route, qui t’a tendu la main pour t’aider à grimper la barrière. Mais il y a aussi cell·eux qui persistent dans le déni, à suivre la linéarité des choses. C’est confortable pour ell·eux, tu le sais bien ; aussi, tu ne les bouscules pas, tu étouffes à l’occasion ce qui grandit en toi, plutôt que de dire, haut et fort, que tu n’es pas, que tu ne seras pas tel qu’iels se le sont toujours imaginé, immuable, contraint·es par les normes qui se sont enroulées autour de tes chevilles pour grimper, pernicieusement, jusqu’à ta tête jusqu’à ce que tu t’en débarrasses.
C’est une cage, mais ce n’est jamais qu’une image. Maintenant que tu as la clé et que tu débloques le cadenas, que faire de tout cet espace qui s’offre à tes yeux ?
Tu te renseignes sur cette identité qui s’offre à toi dans toute sa splendeur, tu apprends à la connaître. Elle porte un nom ou elle est seulement un ressenti aux limites incroyables, qui te permet de voir le monde qui t’entoure sous un nouveau jour. Tu avances à pas prudents vers ce que tu es ou tu l’épouses à bras grands ouverts, te gorgeant d’une énergie qui était tienne depuis tout ce temps, tamisée seulement par tout ce qui t’empêchait d’y croire. Elle te permet également de trouver ta place dans une communauté, d’adopter des couleurs qui te ressemblent.
Les miennes sont le bleu, le blanc et le rose clair, celui qui se rapproche tellement d’une teinte enfantine.
Quelles sont les tiennes ?